BILAN MFPE 2008 / 2009

Deux ans d'expédition dans les friches de la littérature populaire marginale, à essayer de cartographier l'inutile, à accumuler du déchet en pagaille avant de les distinguer, de les apprécier, de les noter, les comparer, les lier, les indexer, forcement, à l'arrivée, 200 messages derrière soi, il faut effectuer un tri. Quels romans valent vraiment le coup sur le Muller-Fokker ? Quels sont mes indispensables de la littérature populaire marginale ? Si je devais partir sur une île déserte, lesquels gratifieraient de leur présence mes bagages ?
Voici donc quelques éléments de réponses, divers pistes hyper-textuelles en gris et aussi une tentative nébuleuse de définition de ce que je nomme la littérature des poubelles, des marges et du pauvre - le tout à la manière d'un bon vieux Marvel Bullpen Bulletins. J'en ai toujours rêvé, voila que je le fais, 'nuff said !

ITEM ! Comment débuter autrement ce bilan qu'en encensant monsieur littérature coup-de-poing, j'ai nommé Joël Houssin, le maître du défonçage de tronche, de l'éclatage de tripes, de l'électrocution de couilles et de l'ultra-flipp' cosmichromique 3000, le chantre de la trépanation crasseuse comme art de vivre en temps de guérilla urbaine généralisée, le roi des mutants situs et des barbares spontex qui écoutent Throbbing Gristle tout en matant des post-nuke rital à la télé.
J'ai déjà parlé de son sublime premier roman, Locomotive Rictus, de trois de ses Anticipation les plus essentiels, Blue, City, Game Over, de ses deux Gore sensationnelement gerbandantissimes, L'Autoroute Du Massacre et L'Echo Des Suppliciés mais surtout, surtout, j'ai parlé de sa série SCUM, écrite sous le pseudonyme de David Rome et traçant sa voix dans le genre du sous-Rambo II, éclatant au poteau du mauvais goût et du bigger-than-everything tous les prétendants... et même l'original. Car face à David Rome, face à Joël Houssin, Stallone ne fait pas le poids. Scum, c'est de la dynamite. Speedball d'ovomaltine. Prosternez-vous devant le maître. Joël Houssin super-star. Au coolometre cosmique de la félicité littéraire, je lui décerne la première place.


ITEM ! Puis-je oublier Voyage Au Bout Du Jour de Behemioth, dit Kââ, dit Corselien, dit Pascal Marignac et qui signait là un roman d'horreur très étrange avec des pieuvres géantes, les plages bretonnes et un cadre homicidaire en pleine dépression, un roman détaché de tout, misanthrope, extrêmement drôle et qui constitua l'une de mes plus belle découverte de 2008 - bref pouvais-je l'oublier ? Certainement pas. L'avez-vous lu depuis le temps ? Je l'espère bien. De toute manière, je reparlerai de Marignac en 2010...

ITEM ! Ça y est, le porno est de nouveau à la mode mais, bon dieu, qu'est-ce-qu'on s'y fait chier. A en mourir - le bouquin dans les pognes, le zob en berne. Lisez Esparbec, vous comprendrez ma douleur.
Ah oui, c'est bien écrit, c'est vaguement subversif comme du Pauvert et c'est classouille comme de la litt' blanche, d'ailleurs on en trouve facilement dans les rayonnages des librairies bien sous tout rapport, des librairies propres sur elles, des librairies de snobinards, avec en plus les couvertures qui font sérieux, super-sérieux même, genre érotisme aubade en couleur, le tout légitimé par la critique de bon goût et c'est bien là le problème.
Rendez-nous nos prolétaires du culs, nos camionneurs en rut, nos écrivains alcoolisés qui, face à l'échéance du loyer, s'acharnaient sur leurs underwoods respectives et bouclaient 180 feuillets de copulation par dessus la jambe en quelques jours... car c'est justement dans cette fange là, celle des sex-shop et des poubelles, que poussent les plus belles fleurs hallucinées et enthousiasmantes du genre.
Oui, redécouvrons-les, ces scribouillards oubliés de la fesse et qui, dans leurs égarements stylistiques, nous offraient d'incroyables bijoux. C'est Une Belle Gonzesse de Regis Lary, bouquin hétéro-débile s'érigeant en véritable San-Antonio de la baise club-med qui dégénère. C'est Lord Bionic Sort De L'Ombre de Jo Barrack, au rythme assez mollasson mais sauvé par la présence en premier rôle d'une super-trique électronique qui tire des rayons laser. C'est Les 7 Merveilles Du Monstre de Gilles Derais, aux péripéties spectaculaires et délirantes - mais qui ne fait pas le poids face à un autre Derais dont j'espère pouvoir parler prochainement, Tout Feu Tout Femme, chef d'oeuvre ultime du genre porno-fou-furieux. C'est L'Une Dans L'Autre de Ricardo Vanguardia, à l'humour décapant et au style de haute volée - Ricardo Vanguardia, ce galérien de la vulgarité et dont il faudra un jour réhabiliter l'oeuvre car même dans ses plus mauvais moments, il reste foutrement génial. Lisez n'importe quel roman de ce malfaisant, vous verrez de quoi je cause.
C'est aussi des choses dont il faudra bien que je vous entretienne un de ces jours. Les 2 romans anarcho-loufoques de Hurl Barbe aux éditions de la Brigandine. Les 5 pornos essentiels de Jean-Pierre Bouyxou, toujours à la Brigandine. La série des Pascal signée Ugo Solenza, alias G.J. Arnaud, en Euredif. La liste est longue, sautons à la ligne...


ITEM ! ... mais restons dans le sexe alimentaire et, pour une vision assez particulière, poétique, subjective, retournante du porno de la belle époque, du porno des années 70, et pour aussi se faire une idée de ce que le genre aurait pu devenir si on ne l'avait pas coupé en deux, une partie pour les intellos, une partie pour les beaufs - cloisonnons, dépouillons, rentabilisons - il faut lire Cine X de Pat Delbe, sous-titré "Le petit manuel des usagers du hard" et qui se doit de figurer sur la table de chevet de tout pornophile qui se respecte. Vraiment. Je ne blague pas.

ITEM ! Dans un tout autre registre - quoique, cela reste discutable - parlons alcoolisme, un sujet qui, vous le savez peut être déjà, me touche de très près. Vous ne croyez tout de même pas que j'écris ces billets en étant sobre, non ? Eh bien, sachez que c'est exactement pareil pour un écrivain des poubelles. Il faut savoir se motiver, s'inspirer, se donner du courage - et pour cela, rien de mieux qu'un peu d'alcool dans le sang. 1 gramme, 2 grammes, 3 grammes, attention, 4 grammes, on atteint les premières cimes du délirium littéraire, on ne sait plus ce qu'on écrit, on part en roue libre, fautes de frappes, incohérences en pagaille et maltraitance narrative à foison.
Grand apôtre du genre ? Jean Normand et son Juana Est Dans Le Coup, récit policier aussi imbuvable qu'improbable, sombrant verre après verre dans un involontaire comique de situation.
Outsider à ne pas perdre de vue ? L'acteur écrivain, flambeur magnifique Roger Duchesne et qui, avec son polar Eddie Constantinnien bien imbibé Faut Les Avoir Bien Accrochées, m'avait provoqué quelques fou-rires pas piqués des hannetons. En effet, fallait les avoir bien accrochées, les amygdales.


ITEM ! Alcoolisés, les navets des éditions Promodifa ? Pas forcement mais, pour le spéléologue en littérature poubelle, voila une série de bouquins essentielle car permettant une compréhension assez complète des aspirations négatives du genre. Intrigues totalement idiotes, sexualité pathétique, personnages insignifiant, tares d'écriture consternantes, racisme de bon aloi, même les poubelles ont un fond et il semblerait bien qu'entre 74 et 78, les production Promodifa cherchait à le forer, toujours plus loin, toujours plus profondément. Interversion qualitative : les bouquins Promodifa ne sont pas médiocres, ils sont génialement mauvais.

ITEM ! Toujours alcoolisé, mais dans un genre très différent, celui de la science-fiction primitive, comique, balourde et satirique, il faut absolument se farcir La Dixième Planète, de Charles-Henri Badet, et dans lequel un clochard amateur de pastis part dans l'espace en fusée spatiale, découvre une planète peuplée de jolies filles à poils et initie ces très sympathiques autochtones aux joies des boissons fermentées. Immanquable.

ITEM ! Immanquable aussi, l'ensemble de la collection Visions Futures aux éditions de la Flamme D'Or et qui, hormis un assez bon André Ruellan sous pseudonyme (son premier roman, d'ailleurs), ne propose que de la bouillie de SF illisible. Mention spéciale à Stop à L'Invasion, auquel je n'ai strictement rien compris, et à Planète Atlante, du mortel duo Keller et Brainin, un bouquin qui enfonce sans difficultés aucunes n'importe quel Jimmy Guieu azimuté puisque nous gratifiant d'une explication du mystère atlante tout en balançant dans la mêlée aztèques énervés, pharaons spatiaux-temporels et martiens belliqueux. Et le pire dans tout ça, c'est que Planète Atlante est certifié 100% sans alcool. Comme quoi, parfois, sans alcool, la fête peut être tout aussi folle.

ITEM ! Et la SF de qualité dans tout ça ? Elle n'est pas oubliée. J'ai ouvert ce blog avec un billet sur le génial Ron Goulart dont les trois Futurama, les deux Opta et le Marabout sont des must-have pour les fans de Sheckley et de Sladek. Quant à l'amateur de new-thing planante un brin parano, il ferait bien de se pencher sur l'excellent L'Envol De La Locomotive Sacrée de Richard Lupoff, reprise spy-fi loufoque et détonante du Starship des Motor City 5 ("Starship / Starship take me / Take me where I wanna go !") et que Michel Demuth qualifiait de "chronique extravagante de la science-fiction au sommet de son âge psychédélique. Ouvrage quasi mythique sur les rapports du synthétiseur et du cosmos." La seconde phrase est mensongère mais qu'importe, L'Envol De La Locomotive Sacrée est un putain de grand bouquin, une preuve irréfutable de l'excellence de la SF dans les années 60/70, période pendant laquelle le genre ne se connaissait aucune crise d'identité puisque ne se prenait pas au sérieux et n'essayait pas de se définir ni de contenir ses excès ou de ranger ses auteurs dans des cases. Assurément une bien belle époque.

ITEM ! Mouais... Ne nous emballons pas. Tout n'était pas rose. C'était aussi une époque qui vit Samuel Delany faire le grand saut, passer de la SF au porno et se retrouver conspué par ses admirateurs. Vraiment, suis-je le seul à avoir aimé Vice Versa ? Des fois, j'en ai quelque peu l'impression. Par exemple, dans Metal Hurlant # 5, numéro orienté cul pourtant (avec une belle couv' de Nicollet), Dionnet écrivait : "accumulation répétitive et prétentieuse de phantasmes sexuels, écriture expérimentale comme on en voudrait plus chez les attardés de la maison Gallimard ça serait drôle, si ce n'était pas du Delany et si ça n'était pas abusivement publié dans une collection de S-F."
c'est vrai, Vice Versa, ce n'est pas de la S-F. C'est du fantastique déconstruit à forte valeur pornographique nécro pédo homo zoo - quatre adjectifs mystérieux qui lui valurent certains problèmes aux états unis. Mais Vice Versa, c'est surtout un roman qui se défend très bien tout seul : "C'est un livre magique. Les mots veulent dire des choses. Quand on les met ensemble, ils parlent. Oui, parfois ils se nivellent et rien de ce qu'ils disent n'est réel, et c'est une sorte de magie. Mais parfois une vision en jaillira, grincera et fera sonner ses ailes fort comme la machure de sueur sur le papier sous votre pouce. Et c'est une autre sorte. Je crois que les deux ont quelque chose à voir l'une avec l'autre et avec l'attention mais je ne sais pas."
C'est aussi le roman qui m'apporte une phrase de conclusion résumant assez bien l'esprit de cette entreprise bénévole dans laquelle je me suis lancée depuis deux ans - ou depuis tout une vie, allez savoir... Peut être est-ce malheureux, peut être est-ce faux mais "sans doute serai-je éternellement voué à appliquer à la restauration des vieilles choses l'énergie que je voudrais destiner aux nouvelles."

4 commentaires:

artemus dada a dit…

Très bonne idée ce rappel (dans la forme aussi).

mikkymixx a dit…

Quelle erreur j'ai fait, j'ai pensé que tout rentrerai sur un post-it ! Parfait ce petit récapitulatif !

ROBO32.EXE a dit…

Artemus : les bullpen bulletins, ça fonctionne à chaque fois, je trouve. Dommage que la Marvel n'en produise plus pour ses fascicules...

mikky : je ne pensais pas moi non plus que ce serait aussi long ! En plus, j'ai oublié quelques trucs - mais bon, fallait bien écourter. 3 pages de blabla, ça commençait à faire un tantinet longuet pour un billet post-it !

Florent a dit…

Tu as tant de choses à dire et si peu de bière... Bravo. Instructif, drôle et bien tourné.