CRÉTIN ET FIER DE L'ÊTRE !

RENDEZ-VOUS À SAN-FRANCISCO, G. DE VILLIERS
PLON / S.A.S. # 5, 1966

Qui est le plus crétin dans l'histoire ? L'auteur ou son personnage ? Le choix est duraille. 
D'un côté, il y a Gérard de Villiers, star incontesté de la littérature pour hommes, négrier ultime du roman de gare, unique milliardaire du genre. 
De l'autre, c'est le prince Malko Linge, alias Son Altesse Sérénissime, "Chevalier de l'ordre des Séraphins, Margrave de la Basse-Lusace, grand Voyvode de la Voyvodie de Serbie, Maître de l'ordre de la Toison d'Or, chevalier de droit de l'Aigle Noir, comte du Saint-Empire Romain, Landgrave de Kletgaus, bailli d'honneur et de dévotion de l'ordre souverain de Malte [et] barbouze hors-cadre à la Central Intelligence Agency, section Action."
Ou comme le chantaient les Coco-Girls du Collaro-Show : "ce mec est too-much, ce mec est trop."
Entre les deux, se trouvent les bouquins. 
De sacrés morcifs.  
Surtout ce Rendez-Vous À San-Francisco, cinquième volume de la série. Avec ses 320 pages au compteur, il enfonce largement la concurrence des besogneux du 190 pages réglementaires à 3 francs la livrée. C'est du luxe. Sans compter que De Villiers, comme à son habitude, s'applique à calquer son style sur celui, efficace et distingué, des brutes de la Série Noire - Chandler et Chase en tête. 
Malheureusement, si les leçons ont été correctement ingérés, le résultât laisse à désirer. Les tentatives de bons mots tombent régulièrement à l'eau et son art de la formule ne fait jamais mouche.
Mais qu'importe. Ne jouons pas les difficiles car il y a l'intrigue. Un truc propre à te foutre la matière grise en ébullition, façon Du Rififi En Californie, si tu vois ce que j'veux dire.
Résumons : San-Francisco est plongé dans une drôle de mêlasse. 20 % de sa population est devenue dingue - ou plutôt : 20 % de sa population a viré communiste, comme ça, sans prévenir, du jour au lendemain. Fini les réunions tupperware et les virées en 4x4, place aux meeting politiques et aux films d'art et d'essai. Pire, 2 agents du F.B.I. ont eux aussi chanstiqués de bord. Gros drame.
"Un silence horrifié s'abattit sur l'assistance. En trente-cing ans d'existence, le F.B.I. n'avait connu que deux traîtres, et encore l'un d'entre eux était un Noir."
Bref, l'heure est grave. Afin d'éclaircir cette semoule chelou, Malko (accompagné de ses gardes du corps Milton Brabeck et Chris Jones) est envoyé en Californie et Gérard de Villiers se permet son premier placement produit.  
Nous sommes à la page 45, Malko a besoin d'une voiture. Il s'en va en louer une chez Hertz (bruit de caisse enregistreuse) puis, tant qu'à faire, drague l'employée, une magnifique franco-sino-tahitienne à grosses loches et petite personnalité. La suite du programme est connue de tous : restaurant, discothèque et chambre d'hôtel. Puis, harassé par ses prouesses sexuelles, Malko s'endort comme un bienheureux.
"Il ferma les yeux avec une gros soupir de reconnaissance pour la maison Hertz."
(nouveau bruit de caisse enregistreuse)
Le reste du bouquin s'étire paisiblement. Malko passe son temps au plumard, les 20 % de la population de San-Francisco brûlent leur ville dans des séries d'émeutes assez peu spectaculaires, Gérard place l'habituelle publicité pour la Scandinavian Airline System (alias la S.A.S., "la seule compagnie qui va à la fois aux Etats-Unis et dans les pays derrière le rideau de fer."), un chat aux griffes imbibées de curare par un blanchisseur chinois se fait dézinguer par Milton et Chris (les gardes du corps) et deux soeurs jumelles démoniaques (car Chinoises) trucident la magnifique franco-sino-tahitienne à grosses loches et petite personnalité de chez Hertz, ce qui force ainsi Malko a sortir de son pieu et a reprendre son enquête.
Enquête qui se résume alors à tirer à vue sur tout blanchisseur et soeur jumelle de type asiatique arpentant le secteur. 
Inutile de dire que cette brillante stratégie porte rapidement ses fruits et permet à Malko de débarquer dans la base sécrète des méchants bridés.
Et là, c'est la grosse révélation du bouquin, l'astuce qui te fout sur le derche, le machin maousse qui te laisse baba.
La lobotomie communiste des 20 % d'habitants de San-Francisco ? C'était bien simple. Nos vilains Chinois avaient en fait infiltré une station locale de télévision et, ni vu ni connu, ils y diffusaient des films. Mais pas n'importe quels films. Pas du Jean-Luc Godard ou des bidules de cet acabit à te faire ronquer tout individu capitaliste normalement constitué. Non, non. Du certifié 100 pour 100 pur jus américain. Publicités, feuilletons, westerns... 
"Je ne vois pas ce que ça a de subversif" remarque une huile de la police.
Heureusement, Malko est là pour lui expliquer :
"[il] prit la première bobine et commença à l'examiner image par image, à la lueur du projecteur. Il n'eut pas à aller loin. Au bout de quarante centimètres environ, il trouva une image qui ne se raccordait pas aux autres. Il y avait une simple phrase qu'il lut à l'envers à haute voix :
Le communisme vaincra.
[...] Vingt-cinq images plus loin, le même slogan revenait, et ainsi de suite jusqu'à la fin de la bobine."
Faisons court. Les films sont alors retirés de la circulation et tout redevient normal à San-Francisco.
The End.
Quant à la question qui ouvrait ce billet, c'est toujours aussi duraille de trancher. 
Qui est le plus crétin dans l'histoire ?
Le lecteur, peut être.

6 commentaires:

Zaïtchick a dit…

Gérard De Villiers, le roi du roman sublime-minable. ^^

ROBO32.EXE a dit…

Ho ! Chouette trouvaille ! Et puis, le "subliminable," ça fait un beau pendant au genre du "débilirant."
J’achète.
Combien ?

Zaïtchick a dit…

Fais-nous encore des chroniques et je me sentirai payé.

Kerys a dit…

Dire que Michel Lebrun, pape du polar, avait encensé les débuts de SAS, censé être novateur !

Cat a dit…

Sino-tahitienne, non ?

ROBO32.EXE a dit…

Oups, si, c'est bien ça.
Merci de me le signaler, je vais corriger cette bourde illico !